Rencontre avec des écrivains

L'écrivain Antoine Choplin a accepté de venir au lycée après le confinement pour cause de Covid-19

Par ISABELLE COSIALLS, publié le lundi 29 juin 2020 16:11 - Mis à jour le jeudi 2 juillet 2020 14:32
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Antoine Choplin a rencontré des lycéens le mardi 23 juin. Trois classes avaient étudié 4 de ses romans. Des élèves en présentiel ont pu échanger avec lui sur sa vie, son oeuvre, ...Le point commun de ses livres : comment rester humain face au pire !

Depuis plusieurs années, notre lycée accueille des écrivains très différents (Lionel SALAUN en 2019, Paola PIGANI en 2018, Jean-Claude MOURLEVAT en 2017, Frank PAVLOFF en 2013, Brigitte Giraud en 2010….). L'objectif est de faire découvrir aux élèves de 2nde (parfois petits-lecteurs) des auteurs contemporains vivants et régionaux ! Les expériences précédentes nous ont prouvé que ce rapport direct à l'écrivain bousculait leurs préjugés sur la création littéraire et leur rapport à la lecture.

Le mardi 23 juin 2020, c'est l'écrivain Antoine CHOPLIN qui est venu de Grenoble rencontrer nos élèves. La rencontre devait avoir lieu initialement le 12 mai. Mais en raison du confinement face à la pandémie Coronavirus – Covid 19, l’auteur avait gentiment accepté de repousser en juin. Trois classes ont travaillé sur ses romans avec leurs enseignants : Mme Frégonèse (Lettres) pour les 2nde 7, Mme Cardot (Lettres) pour les 2nde 8 et M Torturu (Lettres) pour les 2nde 13. Les élèves avaient lu :

  • La Nuit tombée : roman (1re édition en 2012) sur les survivants de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl

  • Cour Nord : roman (1re édition en 2010) sur l’impact social d’une fermeture d’usine dans le Nord de la France

  • Le Héron de Guernica : roman (1re édition en 2011) sur le ressenti personnel ou artistique du bombardement

  • Une forêt d’arbres creux : roman (1re édition en 2015) sur la résistance par l’art en camp de concentration

 

 

Chaque élève a pu choisir l’un des livres de l’auteur pour en faire une lecture intégrale. Le confinement a bien-sûr perturbé le projet puisque les livres n’ont pas pu tourner au sein de chaque classe comme les années précédentes.

 

Antoine CHOPLIN a tenu à venir malgré les étranges circonstances. Cela a beaucoup touché les élèves et les enseignants. En raison de la pandémie, seuls les élèves volontaires sont revenus en cours en présentiel au lycée à partir du 9 juin. Cela représentait seulement 1/3 à 1/2 des effectifs de chacune des 3 classes.

Afin de respecter les gestes barrière, la rencontre s’est déroulée en extérieur dans le théâtre de verdure du lycée. Les élèves présents étaient espacés sur les gradins et portaient leurs masques. Ils ont été enchantés de discuter avec l’écrivain dans une ambiance champêtre, quelquefois interrompus par des chants d’oiseaux ou des tronçonneuses ! Des enseignants de SES, d’Histoire-géo et de SVT nous ont rejoints avec une dizaine d’élèves supplémentaires de 203 et de 1re .

Antoine Choplin a un bon contact avec les jeunes. Il sait écouter les questions et y répondre avec pertinence. Il sait aussi combler les temps morts quand les élèves timides n’osaient poser des questions. Il parle avec délicatesse et brio. Ce fut un vrai bonheur que ce moment de vie après ces mois de confinement ! Il a même accepté gentiment de dédicacer ses ouvrages à quelques élèves.

 

 

Question : Vous qui faites beaucoup de randonnées, voyez-vous un point commun entre la randonnée et l'écriture ?

Comme en marchant, l'horizon se dévoile peu à peu et parfois de manière imprévue. Les deux sont aussi des formes de mise à distance  du monde qui permettent de voir différemment les choses. D'ailleurs, dans mon nouveau livre "A contre courant", je remonte la rivière Isère pour m'interroger sur notre rapport au paysage naturel ou industriel.

 

Question : Pourquoi vos romans parlent-ils tant d'évènements historiques dramatiques ?

C'est vrai que je suis fasciné par les situations extrêmes où des gens simples (pas des surhommes) font face au chaos (la guerre dans "Le Héron de Guernica", l'accident nucléaire dans "La Nuit tombée", la déportation en camp dans "Une forêt d'arbres creux" , ...). Je cherche à comprendre comment l'humain surmonte ces drames. Comment rester lumineux et créatif par sa force individuelle ou par l'intelligence collective.  Je suis persuadé qu'en chacun de nous existe une capacité à créer, un élan artistique, la volonté de laisser sur terre une empreinte personnelle de notre passage ! Par exemple, même à Auschwitz, certains ont choisi de dessiner avant de mourir ! Cette étincelle créatrice en chacun de nous prend ensuite feu (ou pas) en fonction des rencontres que l'on fait pendant sa vie.

 

Question : Est-ce pour cela que vos personnages sont souvent des artistes ?

C’est vrai que dans « Cour Nord », il y a un jeune musicien de jazz. Dans « Le Radeau de la Méduse », mon personnage principal transporte des tableaux du Louvre pour les mettre à l’abri pendant la guerre. Mais c’est surtout avec « Le Héron de Guernica » que j’ai voulu parler de la légitimité de l’artiste. Qui est le plus légitime pour parler du bombardement de Guernica ? Le jeune Basilio qui était sur place, un modeste peintre amateur qui représente surtout des oiseaux ou le célèbre Picasso qui depuis son atelier parisien a peint un tableau pour dénoncer ce crime de guerre dans l’opinion internationale ?

 

Question : Vous inspirez-vous toujours de personnages réels ?

Oui et non ! D'abord, une fiction est une histoire qu'on a envie d'inventer. Mais en même temps, un écrivain n'invente que dans une certaine limite. Il est même inconsciemment influencé par sa propre réalité. D'abord, j'ai l'envie d'écrire sur un thème. La phase avant l'écriture est la plus longue. Pendant 1 à 2 ans, j'y réfléchis, laisse les idées se mettre en place. Puis, je me documente afin de ne pas écrire de bêtises sur une époque ou un pays. Il faut être réaliste même dans une fiction ! Ensuite, commence la phase d'écriture. Alors, j'aime être surpris moi-même. Je ne fais pas de plan de mon histoire. Je me laisse guider par mes personnages.

 

Question : Comment écrivez-vous ?

J'écris comme je marche sans savoir où je vais arriver. L'écriture, c'est un peu comme une expérience chimique. On réunit différent ingrédients (archétype de personnages, contexte historique, paysage, ...) et on découvre les réactions peu à peu. L'écriture comporte une part d'imprévu comme la musique jazz. Il y a un cadre organisé (une grammaire, un thème) mais surtout une part d'improvisation, sinon il n'y a aucun plaisir à écrire !

De plus, contrairement à un cinéaste, un romancier est obligé de séquencer pour tenter de donner une vision globale. Dans la réalité, vous englobez tout : ce que vous voyez, entendez, sentez, pensez, ... Dans un livre, trop décrire écrase la réalité palpitante de la vie. Si, par exemple, vous décrivez trop le physique de vos personnages, le lecteur est placé en observateur de la scène. Moi, je préfère décrire succinctement pour accentuer la sensation d'intimité, de proximité. J'essaye aussi de ne pas utiliser de tiret dans les dialogues, toujours pour éviter la séparation. J'essaye d'englober les dialogues dans le récit.

 

Question : avez-vous la peur de la page blanche ?

Non, j'ai toujours envie de m'approcher de mes personnages, de raconter leurs histoires. Bien-sûr, écrire demande l'effort de s'arracher à sa propre vie quotidienne. Je peux aussi rester bloqué 2 heures sur une phrase car je ne trouve pas les bons mots ! Je laisse alors le manuscrit de côté et je vais faire autre chose. Mon inconscient travaille alors et quand je reprends la plume, je trouve la bonne formule ! Parfois aussi après des mois de réflexion et de travail, j'abandonne un projet. Mon intuition me dit que l'histoire ne tient pas la route !

 

Question : vivez-vous de votre plume ?

Non, comme 95% des auteurs, j'ai d'autres activités pour gagner ma vie. Seul 5% du prix d'un livre revient à son auteur. Le reste va à l'éditeur, à l'imprimeur, au libraire, ....Je vends  environ 1000 exemplaires par livre que j'écris. Pour un livre publié en poche à 6€, calculez combien font 5% pour un livre que j'ai mis 2 à 3 ans à écrire. Certains auteurs préfèrent l'auto-édition sur internet (sur Manuscrit.com par exemple) mais ils ne bénéficient pas alors du réseau de diffusion de l'éditeur (campagne de presse auprès des médias et des libraires) et vendent très peu sauf exception.

Je gagne aussi ma vie en organisant des évènements culturels avec l'association Scènes Obliques que j'ai fondée en 1992. Je suis aussi rédacteur d'une revue littéraire "Arpentages".

 

Question : Qui relit vos textes avant qu'ils deviennent des livres publiés ?

Ma compagne lit  mais seulement pour me dire si l'histoire est compréhensible. L'avis de nos proches n'est pas assez objectif. C'est mon éditeur qui me relit surtout. Parfois, il me demande de modifier certains passages moins intéressants. C'est un spécialiste de l'écriture. J'attends d'avoir terminé une histoire pour lui faire lire. D'autres romanciers préfèrent envoyer chapitre par chapitre à leur éditeur.

 

Question : A quel âge avez-vous commencé à écrire ?

Déjà enfant, j'écrivais des histoires. Je reliais les feuilles pour offrir un petit livre à mes parents. J'étais fier. J'ai toujours écrit mais ce n'est qu'à plus de 35 ans que j'ai osé envoyer mes manuscrits à des éditeurs ! J'ai essuyé beaucoup de refus avant d'enfin être publié. Aujourd'hui, une vingtaine de mes livres ont été publiés.

 

Question : Ecrivez-vous seulement des romans ?

Non, j'écris aussi des poèmes. Ce n'est pas de la poésie lyrique, juste mon regard sur des évènements. D'ailleurs, c'est curieux, mes poèmes laissent échapper ma colère alors que d'ordinaire, je suis un homme calme ! La poésie me permet de m'échapper du temps long du roman. La poésie autorise aussi plus de liberté car on s'affranchit des règles narratives. J'adore d'ailleurs le groupe OULIPO dont les artistes ont composé des palindromes (phrases qui se lisent dans les 2 sens )) ex : Esope reste ici et se repose.

 

Question : quels sont vos écrivains préférés ?

George Perec qui appartenait à l'Oulipo et s'amusait avec les mots. Je vous invite à lire "La Disparition" un roman qu'il a écrit sans utiliser la lettre "e" !

Samuel Beckett me bouleverse avec son travail sur l'absurdité.  Je vous conseille "Mercier et Camier" un texte facile.

J'adore aussi Hubert Mingarelli que j'ai eu la chance d'avoir pour ami et qui est décédé en janvier. Il a remporté le Prix Médicis avec "Quatre soldats" en 2003. Ensemble, nous avions écrit "Incendie" en 2015.

 

Question : le confinement et la pandémie Covid-19 vous ont-ils inspiré un nouveau livre ?

Non, cette mise en pénombre du monde ne m’a pas poussé à écrire. Peut-être plus tard, car j’ai besoin de digérer l’évènement.

 

Question : et l’actualité américaine avec ces manifestations anti-racistes ?

Je suis rassuré de voir cet éveil des consciences. Je vais peut-être vous choquer mais pour moi les USA sont l’un des pays les moins développés intellectuellement de la planète. Il y a une inégalité dramatique dans l’accès à l’éducation comme à la culture ou à la santé.