Droit et Grands Enjeux du Monde Contemporain

Droit des animaux : enjeux éthiques et droit spécifique. Vers un nouveau code animal et une citoyenneté animale ?

Par STEPHANIE CREPET, publié le samedi 15 juin 2019 19:13 - Mis à jour le samedi 15 juin 2019 19:13

Tests cosmétiques et médicaux, clonage... des sujets qui font débat autour d'un être jugé sensible.

Marine Attané - Dec 17, 2016

Si les tests pharmaceutiques semblent se justifier par leur portée scientifique, les tests cosmétiques semblent a priori moins « noblement justifiables ». D’un côté les expérimentations se justifieraient par le nombre de vies humaines qu’elles permettraient de sauver, quand les tests cosmétiques ne se justifient que par une pratique non essentielle à la vie humaine.[2]

Derrière cette opposition de finalités qui instaure, de manière presque intuitive, une hiérarchie entre les pratiques, c’est une pensée profonde de la différence entre l’homme et l’animal qui est à l’œuvre. Cette approche constitue toute une partie de la philosophie occidentale, qui opère une différence d’essence entre l’homme et l’animal, justifiant un traitement éthique, politique, juridique… différencié entre ces deux « espèces » [3]. Rappelons qu’une branche de l’éthique animale ne remet pas en question cette différence, mais cherche à l’endurer d’une manière nouvelle, qui ne prendrait pas la forme d’un asservissement. En ce sens, la question des tests se pose et interroge le paradigme de notre jugement moral : est-ce d’après les fins recherchées que l’on statue éthiquement sur une pratique ou est-ce depuis un questionnement sur « l’identité » du cobaye que l’on doit se prononcer ?

Pour les chercheurs en médecine, le jugement se fait au regard des résultats, comme le montre la démarche de l’association européenne de la recherche animale : « 40 raisons en faveur de l’utilisation d’animaux dans la recherche »[4]. Le « bien-être » humain passerait avant celui de l’animal : la vie humaine sauvée pourrait l’être au prix de vies animales. Ce raisonnement implique une différence non plus d’essence, mais de valeur, entre vie humaine et animale. Dès lors, si les cosmétiques contribuent aussi à une forme du bien-être humain, les tests se justifient tout autant. Pour complexifier cette proposition, nous pourrions parler de tests animaux de produits pour des personnes dont la santé est particulièrement fragilisée par une pathologie lourde (cancer) ou par un état physiologique singulier et temporaire (femmes enceintes). La situation de ces personnes ne pouvant pas utiliser des produits standards allierait impératifs médicaux et esthétiques comme autant d’arguments en faveur de tests sur les animaux.

http://www.understandinganimalresearch.org.uk/resources/video-library/why-do-we-use-animals-in-research/

Cette position ne repose cependant que sur une forme de pensée plaçant l’homme au-dessus de l’animal [5]. Rappelons que différence ne vaut pas obligatoirement hiérarchie : c’est ce que prône les défenseurs de la cause animale lorsqu’ils parlent de « dignité animale » [6] ; expression faisant écho à la « dignité humaine » présente en droit français. L’utilisation d’un terme identique présuppose une forme d’égalité : l’animal devrait être respecté au même titre que l’homme. Ainsi toute forme de test sans consentement serait éthiquement problématique. Mais cette notion de dignité n’est pas sans poser quelques problèmes, sur le plan éthique comme sur le plan juridique, comme le rappelle Florence Burgat [7] ou encore Denis Mÿller et Hugues Poltier [8]. Si le concept de dignité est l’argument phare pour l’interdiction de tests, il pose des questions éminemment pratiques aux penseurs : qu’est-ce que le respect de la dignité animale ? est-ce identique au respect de la dignité humaine ? comment la mettre en place et l’encadrer clairement ?

https://www.youtube.com/watch?v=rFUrjuYI9xk

Un encadrement juridique spécifique et complexe des expérimentations animales

source : campagne Vegactu.com

A l’instar de l’éthique normative, le Droit des civilisations occidentales, que celles-ci s’inscrivent dans une tradition juridique continentale ou de Common Law, instaure une hiérarchisation entre être humain et animal, traduction directe de la summa divisio héritée du droit romain entre les personnes et les choses. La dignité cristallise ainsi ces rapports complexes entre homme et animal : considérée aujourd’hui comme l’un des principes fondamentaux premiers du droit européen [9], elle n’en demeure pas moins une notion récente [10]. Il faut attendre les années 1990 pour que débute une réflexion spécifique sur le terrain des expérimentations médicales, scientifiques et bioéthiques, concrétisée par l’adoption de la Convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine en 1997, et des lois françaises de bioéthique en 1994 [11]. Reconnue comme un principe absolu et indérogeable [12], la dignité constitue ainsi un principe juridique particulier, ne pouvant être assimilé à un droit subjectif ou fondamental visant à protéger une catégorie particulière de personnes, mais bien un principe premier cherchant à préserver l’humanité toute entière, voire l’humanité de notre société dans le regard qu’elle porte sur les êtres et les activités qui l’entourent [13].

Néanmoins, la dignité a toujours été proclamée à l’égard de la seule personne humaine, et non de la catégorie juridique des choses, alors même que « Traditionnelle, cette summa divisio semble (…) de plus en plus souvent remise en cause aujourd’hui. Entre réification de la personne humaine et personnification de certaines catégories de choses, ses frontières semblent ténues » [14]. Fœtus et cadavre sont ainsi considérés comme des choses dénuées de personnalité juridique, mais néanmoins dotées d’un caractère humain qui leur permet d’accéder à une protection juridique particulière, ce dont l’animal est dépourvu, alors même que le législateur français vient de lui reconnaître le caractère « d’être vivant doué de sensibilité » [15]. Fœtus, cadavre et animal constituent ainsi des catégories dérogatoires à la summa divisio classique, de sorte que certains juristes plaident pour la création d’une catégorie juridique à part qui permettrait à ces trois entités de bénéficier d’égards particuliers, dont celui d’être traités avec dignité [16].

Si le principe de dignité ne permet pour le moment pas de contrôler les expérimentations animales, les législations les encadrent de plus en plus strictement : élaborée en 1985, la Convention STE 123 [17] en constitue le pilier européen. Reprise par la directive 86/609/CEE [18], révisée en 2010 [19], elle instaure un cadre légal précis, régi par la « règle des 3R » : élaborée en 1959 par les scientifiques anglais W.M.S. Russell et R.L. Burch, cette règle constitue la matrice de la démarche éthique appliquée à l’expérimentation animale en Occident, et consiste en trois points fondamentaux : Reduce, c’est-à-dire réduire le nombre d’animaux en expérimentation, Refine, c’est-à-dire « raffiner » la méthodologie utilisée, ce qui implique les notions de points limites et de critères d’interruption de l’expérimentation en cas, par exemple, de douleurs disproportionnées, et Replace, à savoir remplacer les modèles animaux. Ces législations prennent en compte tout à la fois l’acclimatation et l’adaptation de l’animal durant les expériences, et son devenir après ces dernières. Elle prévoit également que les « expériences susceptibles d’entraîner de la douleur et incompatibles avec l’emploi d’anesthésiques ou d’analgésiques, (soient) limitées au strict minimum » [20]. Néanmoins, leur objet demeure très large, englobant, sans aucune hiérarchisation ni même différenciation, aussi bien les expériences à visée scientifique que celles à but esthétique et cosmétique, ce qui n’est pas sans interroger sur le plan éthique.

Sur ce dernier point cependant, face à un rejet de plus en plus marqué par les consommateurs des pratiques d’expérimentation animale pour la réalisation de cosmétiques, les entreprises du secteur sont aujourd’hui dans la nécessité de trouver des alternatives, telles que les tests in vitro ou le développement de la peau artificielle. Pratiques nouvelles qui ne sont pas, là encore, dénuées de questionnements éthiques.

Enjeux prospectifs : quelle éthique du clonage animal dans la perspective des tests cosmétiques, pharmaceutiques et médicaux?

1/ Quelle éthique du clonage animal et humain?

L’étymologie du terme clonage est issue du milieu végéral : klôn signifie “jeunes pousses, brindilles, faciles à plier”. Des botanistes américains emploient le terme de “clon” pour désigner des groupes de plantes qui se propagent. Les manipulations génétiques pratiquées sur les plantes vont dès lors rapprocher ce terme de sa signification actuelle. En passant dans le domaine de la biologie animale (notamment par le travail de John Haldane), les réflexions sur le clonage se rapprochent de l’eugénisme : le clonage est envisagé comme un moyen parmi d’autres d’améliorer des espèces animales et suscite dès lors des craintes éthiques [21].

Dans un article intitulé « Pour une sociologie de l’éthique », François-A. Isambert, Paul Ladrière et Jean- Paul Terrenoire avaient anticipé le fait que le développement de la science provoquerait un accroissement de la sphère éthique. En effet, les évolutions scientifiques en matière de clonage n’ont eu de cesse de progresser en trente ans : si le biologiste D. Solter déclare dans Sciences en 1984 que “le clonage de mammifères par simple transfert d’un noyau est biologiquement impossible”, c’est S. Willadsen qui réussit la première naissance d’un agneau par transfert de noyau en mars 1986 [22]. La brebis Dolly naîtra ensuite le 5 juillet 1996, clonée à partir d’un noyau provenant d’une cellule de glande mammaire d’une brebis, soit d’une cellule différenciée prélevée sur un animal adulte. Par la suite, de nombreux autres animaux sont clonés par transfert nucléaire : une vache en 1997, un chaton en 2011. Les débats qui ont suivi la naissance de Dolly montrent en réalité que c’est moins le clonage animal qui peut être considéré comme non éthique que sa possible extension à l’Homme.

Principe du clonage animal à travers l’exemple de Dolly

A ce titre, le Comité consultatif national d’éthique est saisi par le Président de la République et rend un avis le 22 avril 1997. Il explique notamment : “À la différence de Dolly, des clones humains sauraient qu’ils sont des clones ; ils se sauraient aussi reconnus tels par autrui. Comment ne pas voir l’intolérable chosification de la personne que recèlerait une telle situation ? […] Un tel projet peut-il être jugé autrement que comme un attentat à la condition d’Homme ?” [23]. Le comité fait ainsi une claire distinction entre le clonage animal et humain: la non-conscience de l’animal cloné de sa condition de clone le distingue fondamentalement du potentiel Homme cloné. En 2002, une entreprise se situant dans la mouvance de la secte des « raéliens » a annoncé la naissance présumée de bébés humains issus d’opérations de clonage, ce qui n’a pas été confirmé mais a suscité une grande émotion.

La loi relative à la bioéthique votée par le Parlement français en 2004 qualifie le clonage reproductif de « crime contre l’espèce humaine » et introduit une peine de trente ans de réclusion criminelle à l’encontre de ceux qui procéderaient à « une intervention ayant pour but de faire naître un enfant génétiquement identique à une autre personne vivante ou décédée».

Ainsi, seul le clonage animal pourrait être considéré comme éthique, dès lors qu’il peut impliquer des évolutions scientifiques majeures. Comme l’a montré la naissance de Polly annoncée par le Roslin Institute, la création d’animaux transgénique offre des applications pour la production de protéines thérapeutiques ou pour la transplantation chez l’Homme d’organes « humanisés » qui peuvent surmonter l’obstacle thérapeutique (rapport du Sénat, 2000) [25]. On voit cependant émerger des grandes firmes multinationales qui utilisent le clonage à des fins commerciales sous couvert de l’éthique médicale, comme Geron Bio-Med, Pharming etc. Le clonage constitue une compétition commerciale qui oppose, des deux côtés de l’Atlantique, les grandes sociétés de biotechnologie.

2/ Quelle éthique de l’utilisation du clonage animal à des fins de tests cosmétiques, pharmaceutiques et médicaux ?

Il est évident que les débats de l’éthique relative aux tests pharmaceutiques et cosmétiques vont évoluer avec la possible banalisation des techniques de clonage. Les questions relatives au clonage des animaux peuvent en effet renouveler la vision classique de l’éthique animale en matière de tests scientifiques.

Pourtant, aucune différence ne peut être fondée d’un point de vue éthique entre la vie d’un animal et celle d’un animal cloné, car seul diffère le mode de conception: dans le cas du clone, c’est l’intervention de l’intelligence humaine qui a permis sa création, mais l’animal en lui même est un être doué de sensibilité au même titre qu’un animal né dans des conditions biologiques classiques. Qu’ils soient effectués sur des êtres originels ou pas, les tests médicaux et cosmétiques semblent alors injustifiable d’un point de vue éthique.

Un des grands débats éthiques concernant les tests animaux est centré sur la question du consentement de l’animal. Celui-ci est soumis à des tests sans donner son accord. Des clones humains, conscients de leurs actes permettraient-ils à la fois de résoudre le problème de la hiérarchisation des vies humaines et animales tout en minimisant les problèmes éthiques des tests pharmaceutiques et cosmétiques sur des être originels ? Paradoxalement, non. C’est bien parce qu’ils seraient conscients des tests qui leurs sont infligés que les clones humains exacerberaient les questions éthiques autour des tests médicaux et cosmétiques.

D’ailleurs, en termes de clonage humain, le clonage reproductif est aujourd’hui généralement considéré comme condamnable, notamment d’un point de vue éthique. Cependant, il serait possible de se questionner sur l’utilité de telles pratiques de clonages à des fins thérapeutiques. La technique consiste principalement à créer des embryons qui seront détruits pour produire du matériel thérapeutique. Cette pratique reste autorisée en Grande-Bretagne ou en Suède et surtout en Asie.

De plus, le professeur Don Broom et le docteur Richard Kirkden de l’Université de Cambridge ont rédigé un rapport intitulé “Le bien-être des animaux génétiquement modifiés et clonés pour l’alimentation », et montrent plusieurs éléments qui apportent à la réflexion éthique [26] : les taux élevés de mortalité prénatale et postnatale, ainsi qu’une mauvaise santé sont courants chez les bovins et les moutons clonés, les problèmes de santé dont souffrent ces animaux comprennent notamment des difficultés respiratoires, insuffisance cardiaque, problèmes rénaux et sensibilité accrue aux maladies infectieuses et la production d’animaux génétiquement modifiés peut également engendrer la souffrance et la mort de nombreux animaux. Ces conditions remettent également en question l’efficacité des tests médicaux et cosmétiques conduits sur des animaux clonés en mauvaise santé [27].

Pour ces raisons, le Groupe européen d’éthique des sciences et des nouvelles technologies condamne l’utilisation du clonage animal à des fins de bienêtre humain, en se fondant notamment sur “le niveau actuel de souffrance et de problèmes de santé des mères porteuses et des animaux clonés” (opinion adoptée le 16 janvier 2008)[28].

Pour conclure, le clonage n’apparaît pas comme la solution aux problèmes éthiques que pose la pratique des tests effectués sur les animaux. Si ces tests sont indispensables, il importe de les restreindre strictement aux pratiques essentielles à la survie humaine (excluant donc les cosmétiques pour lesquels on dispose déjà de données sanitaires importantes) et de renforcer les obligations légales pour assurer le bienêtre maximum. Si pour le moment la science ne propose pas d’alternative plus éthique que les tests effectués sur les animaux, les recherches doivent se poursuivre [29].

https://medium.com/@marineattan/les-th%C3%A9ories-de-l%C3%A9thique-animale-c2305ad36e57